Galériens d'Arros (première partie)
De l’histoire des habitants d’Arros, exception faite de celle des Barons, il ne nous est parvenu que très peu de chose et si ce n’est à travers des procès très souvent d’ailleurs avec leur seigneur ou quelques actes notariés il n’existe guère de témoignage d’évènements qu’ils auraient vécu ou subi avant la révolution . Les manants et autres naissent et meurent dans l’anonymat sans laisser aucune trace de leur vie pénible au milieu des tumultes de l’histoire qui les dépassent mais dont ils ont pu en être quelques fois aussi les acteurs directs.
Il y eut ainsi à la fin du 17 ème siècle dans notre petit village deux hommes qui se retrouvèrent bien malgré eux engagés dans la grande histoire de France et celle même de tous l'occident.;Leur histoire se situe peu après la révocation de l'édit de Nantes alors qu'ils tentèrent de fuir le royaume pour aller servir Dieu en paix dans un pays protestant et éviter la fureur des dragons que le roi de France avait mis en place dans les villes et villages sous l’autorité et la répression de l’intendant Foucault afin d’y convertir les derniers calvinistes du Béarn par tous les moyens et ils ne s’en privèrent pas. Leurs méfaits comme à Nay particulièrement n’avaient d’équivalent que ceux des atrocités commises par l’inquisition et la simple peur de leur arrivée avait pu comme à pontacq provoquer chez les huguenots une vague de conversions en masse dont ce félicitât grandement alors le roi Louis XIV auquel on avait cependant aussi "oublié" d' indiquer les moyens d'y parvenir. La plupart des familles les plus riches et les pasteurs dont le célèbre théologien de Nay, Jacques Abbadie avaient déjà quitté le royaume à cette époque et il n’y eut dès lors que très peu de prétendants à l’exil en Béarn après 1684 tant le risque était grand pour les fugitifs de finir aux galères et de voir leurs biens confisqués. Il y eut portant bien quelques tentatives entreprises qui se soldèrent par des arrestations comme à Nay où Jacques Barrère et Daniel Ferran, apothicaire furent capturés pendant leur fuite à Lourdes, très certainement dénoncés, en octobre 1686 avant d’être condamnés et déportés aux Amériques le 18 septembre 1687 pour des travaux forcés ne pouvant pas ramer aux galères compte tenu de leur âge avancé. J 'ouvre ici une petite parenthèse concernant leur déportation à la Martinique où dix ans auparavant mourait le gouverneur général des Antilles Jean charles Baas qui était lui aussi originaire de Nay. Il y eut cinq bateaux entre 1686 et 1688 transportant quelques 500 huguenots qui furent répartis à leur arrivée sur plusieurs iles des Caraïbes quand ils n'étaient pas morts pendant le voyage ou dans le naufrage de mai 1687 à quelques lieue de la Martinique de La Notre Dame de Bonne Espérance qui avait quitté Marseille le 12 mars 1687 avec à son bord cent protestants déportés (soixante dix hommes et trente femmes) . Les deux de Nay étaient sur la Flutte ou le Concorde, les deux derniers convois vers les Antilles partis le même jour où ils arrivèrent le 27 décembre après 3 mois et 9 jours de mer. Ils repartirent vers Saint Domingue le 31 décembre où ils furent bien accueillis avec en prime un lopin de terre mais la plupart ne désiraient que de rejoindre l' île de Saint Christophe , de passer dans sa partie anglaise et de s'en retourner en Europe. Si les deux de Nay ont bien suivi cette route, il est alors possible qu'ils se soient retrouvés sur l'ile de Saint christophe et y avoir fait connaissance avec le Lieutenant du Roi de cette époque qui n'était autre que Jourdain de Salenave de Nay dont les ancêtres étaient originaires ...... d'Arros où vivaient encore à la même époque un autre Jourdain Salenave,son cousin qui mourru en 1694. Sa femme Anne Barat était toujours protestantes en 1686 avant d' émigrer en Angleterre avec sa fille après la mort au combat de son mari. Elle était aussi était la fille de Gédéon de Barat, abbé Laïc de Bourdettes Chevalier d'Espalungue et la petite fille de Noble de Médevielle de Laruns qui se trouve être d'un grand intérêt généalogique étant l'ancêtre direct de plusieurs habitants d'Arros encore aujourd'hui . Mais ceci est une autre histoire et il sera mis en ligne, bientôt j'espère, une généalogie plus détaillée concernant la branche arrosienne de cette famille et celle des Salenave qui fut un acteur principal pendant la Réforme protestante dans notre village durant la deuxième partie du 16ème siècle .
On dénombre en Béarn pour tout qu’une vingtaine d’arrestation et condamnation aux galères à perpétuités et si les noms de la plupart de ces infortunés sont restés dans l’anonymat, pour deux d’entre eux pourtant, et c’est unique en Béarn, leur histoire nous est connu et ils étaient originaires d’Arros .
Les protestants d'Arros avaient de tous temps été plus ou moins protégés par leurs Barons, les Gontaut- Biron d’abord puis par les d’Espalungue qui ne cachèrent jamais leurs origines huguenotes et qui permirent à leurs coreligionnaires de ne pas être autant inquiétés et poursuivis que dans d’autres paroisses de la région. Malgré leur nombre important encore en 1685, ce dont nous verrons dans un prochain article, il semble même qu’ils continuèrent à pratiquer leur foi longtemps encore après la révocation de l’édit de Nantes. On trouve ainsi dans les registres paroissiaux d’Arros les actes d’abjuration et la conversion de plusieurs familles en 1736 et 1737 et ce, jusqu’en 1767 pour les dernières soit près de 80 ans après l’interdiction dans le royaume et même des pages entières de déclarations de mariage et naissances, après parfois plus de dix ans de clandestinité, dites « du désert » en 1788 suite à l’édit de tolérance promulgué par le roi Louis XVI qui permit à toute les religions de bénéficier d'un état civil sans se convertir au catholicisme .On peut très souvent reconnaitre ces familles dans les registres paroissiaux grâce au non empressement qu'ils font de baptiser leurs enfants seulement plusieurs jours après la naissance se démarquant ainsi des catholiques qui par tradition donnaient ce sacrement le jour même. Tout au long du 18ème siècle les protestants ou les nouveaux convertis certainement plus par intérêts (principalement pour pouvoir reconnaitre ses enfants et leurs transmettre le patrimoine familial) et donc sans grande conviction furent très présents dans l’histoire de notre village et souvent aussi la source de litiges avec les catholiques qui touchèrent jusqu’au Baron lui-même contre la famille de Livron de Saint Abit, les abbés laïcs propriétaires de l’ église Saint Jacques d’Arros. Nous reviendrons bien sur plus en détails plus tard sur l’histoire des protestants d’Arros dont les « grandes » et plus anciennes maisons semblent avoir prospéré en grande partie grâce à leurs origines huguenotes. Les deux candidats au départ en 1687 sont issus de ces très anciennes familles alliés déjà entre elles depuis le 16ème siècle et qui longtemps après la triste aventure de leurs ancêtres continueront pourtant à revendiquer leur croyance dans les thèses de Calvin.
Ces deux « héros », malgré eux, furent Jean Cazalé , tisseran de métier qui avait 23 ans au moment des faits et surtout Jean Loustalet âgé d’une trentaine d’années dont l’histoire a pu être rapporté par plusieurs témoignages de l’époque contenant de nombreux détails de son martyre.
Un an après l’arrestation de ceux de Nay, les deux jeunes hommes certainement encore célibataires décident à leur tour de quitter le pays ensemble par un autre itinéraire et surement en ne faisant pas appel cette fois à un passeur qui fut à l’origine de l’échec de Barrère et Ferran. C‘est l’Espagne toute proche où une forte communauté béarnaise est présente que les deux d’Arros choisissent comme première étape avant de pouvoir rejoindre un pays au nord de l’Europe où là aussi de nombreux exilés se sont refait une nouvelle vie avec pour certains même fortune et gloire. Une telle entreprise nécessitait alors une confiance absolue l’un dans l’autre et il est certain que les deux se connaissaient très bien. En effet leurs familles dont on peut retrouver les traces dès le début du 17ème siècle à Arros se sont alliés quelques années auparavant avec le mariage de Jean Loustalet et Judith Cazalé vers 1680 et qui devaient être leur frère et sœur respectifs. Un article sera ultérieurement consacré à la généalogie ces deux très anciennes familles de notre village. La décision de fuir le pays pouvait être très lourde de conséquences mais leur foi était grande et leur soif de liberté les poussèrent malgré cela à entreprendre le dangereux voyage à la mi avril 1687. Les passages vers l’Espagne toute proche sont très surveillés avec des contrôles sévères au col du Somport et à Saint Jean Pied de Port et après quelques jours de marches dans la plus grande discrétion ils sont pourtant arrêtés à Saint Jean Pied de Port le 20 avril en compagnie d'autres prétendants à l'exil dont Isaac Labes de Nay qui fut livré au parlement de Toulouse et condamné aux galères le 22 juin 1687. Ils n'avaient vraisemblablement rien sur eux de bien comprometant ni d'argent mais l'absence de papier leur permettant de circuler près de la frontière fut surement le motif retenu à leur arrestation avec la forte suspicion de leur volonté de fuir du Royaume. Transportés à Pau ils sont condamnés par arrêt du tribunal du parlement le 13 Juin 1687 à la peine de galère à vie comme fugitif du Royaume.
A suivre ici bientôt