L e village d’Arros par l’abbé bonnecaze(1) en 1773
Ce village est considérable ; il y a environ trois cents maisons ; il se trouve sur la plaine et est traversé par la nouvelle route de Nay à Pau. Il y a aussi un hameau où l’on compte une cinquantaine de maisons. Le terroir est bien travaillé et bon pour toutes sortes de fruits. Les eaux y sont de puits et pas très bonnes. Le Luz dont les eaux sont douces et pas très bonne à boire, passe près du village. Pendant les grandes chaleurs ce ruisseau est presque à sec
. Arros fournit cinq soldats pour la milice du bataillon de Morlaas(2). Le baron d’Arros en est le seigneur médiat. Cette baronnie avait appartenu autrefois à la maison de Biron. Les ancêtres du baron actuel s’en rendirent maitre par décret pour être payé d’une légitime qu’ils avaient à prendre, en vertu d’un mariage entre Jeanne de Biron et Henry d’Espalungue. C’est ainsi que la famille de Livron a eut cette terre ; elle n’a cependant dans Arros que la seigneurie et une partie des fiefs
. Le seigneur de Livron-d’Espalungue de saint Abit est gros décimateur (6) abbé et patron laïque (3) et nomme le curé, qui a un quart des novales (4) et une paquère fixe ; le tout revient à 800 livres, le chapitre de Lescar a un quart de la dime. L’église est dédié à saint Jacques le Majeur.
Le seigneur a un superbe château , avec un bel enclos, où on voit un vaste vivier, tout en pierre de taille, un beau jardin, deux métairies, des vignobles et un pré assez considérable. Il y a attenant au château un bois à haute futaye. Il est encore possesseur d’un moulin et d’un foulon sur le gave. Enfin il est aussi seigneur d’un territoire appelé Lous Couts, qui s’éttend depuis Nay jusqu’à Narcastet, en nature de coteaux, touyas et fougères : mais il n’en a que la nue propriété ; il ne peut en jouir que comme un simple particulier des communautés voisines qui en ont la pleine jouissance depuis quatre ou cinq cents ans.
Les jurats ont la moyenne et basse justice et la police. Arros a le gave et Boeil à l’orient, Nay au midi, Bosdarros à l’occidentet saint Abit au nord Le commerce des habitants d’Arros est de fabriquer des couvertures de lit en laine et la culture de la terre. Il y a quelques maisons distinguées, comme celle de Cazalis(5), fameux avocat, qui s’est enrichi dans sa profession et qui a acheté en 1771 la seigneurie de Pontiacq pour 48000 livres.
A Arros , les deux sexes sont assez bien faits et polis, mais ils ont peu de piété et de religion. Ils tiennent encore beaucoup des erreurs des protestants calvinistes dont le nombre était prodigieux dans ce village et il en reste encore dix ou douze familles.
Suivent ensuite quelques anecdotes à propos des arrosiens que je garde pour un article ultérieur.
(1) L'abbé Bonnecaze de Pardies 1726/1804 est un personnage haut en couleur , curé constitutionnel qui se vanta même de s'être marié en 1793. Il est l'auteur entre autre d'un manuscrit traitant de "l'histoire des villages de la plaine de nay" au 18ème siècle dans lequel il n'épargne personne, donne des noms, raconte les scandales, met les points sur les i et s'en donne contre ses ennemis. Ces écrits ont une valeur historique toute relative mais en ont une au point de vue anecdotique.
(2) Un des trois bataillons avec Orthez et Oloron qui composaient le régiment des Bandes béarnaises
(3) Ecclésiastique, parfois laïque, à qui revenait le bénéfice de la dîme levée sur une paroisse et qui, en retour, devait participer aux frais d'entretien de la paroisse.
(4)Terre nouvellement défrichée et mise en culture. Les curés avaient droit de dîme sur les novales
(5) Rapport du tribunal révolutionnaire: Cazalis père, 80 ans, marié, trois enfants, un garçon de 28 ans émigré, deux filles mariées, 36 et 27 ans ; arrêté à Pau le 26 octobre ; ci-devant, père d'émigré ; riche mais avare pour la patrie. Avocat au défunt Parlement. Pacifique harpagon, très indifférent pour la Révolution. Il n'a fait aucune libéralité que lorsqu'il y a été forcé par les circonstances. Il avait ramassé beaucoup de biens en grugeant ses clients. Il reprend son activité d'avocat sous l'Empire et devient le doyen des avocats de Pau et même sous doute de France et meurt en 1809 à l'âge de 103 ans.
(6) Le gros décimateur était celui qui jouissait des dimes sur le blé le vin et le gros bétail appelé grosse dime
Petits troubles et scandale fait à la religion par des faits particuliers arrivés en Béarn
Un petit texte de ce cher Abbé Bonnecaze dont l’histoire en question ne trouve aucune preuve d’existence dans un autre document mais qui est surement basé sur un fait réel et très exagéré.
"En 1712, les huguenots d’Arros près de Nay brisèrent toutes les croix publiques du lieu qui servaient aux stations des catholiques et les jetèrent dans des lieux immondes en haine de la religion. La plainte en fut portée au procureur général qui fit des informations. On découvrit les principaux auteurs au nombre de six qui furent décrétés de prise au corps : les archers y allèrent pour les prendre avec la trompette à plusieurs reprises ; mais les auteurs s’évadèrent et s’enfuirent en Espagne, habillés en moine où ils restèrent quelques années faisant profession de la religion catholiques ; en attendant, l’affaire fut arrangée, ils en furent quittes moyennant qu’ils rétabliraient les croix en pierre de taille sur piedestas bien propres et les placer à leur dépens dans les lieux qui leur fut indiqués, c'est-à-dire à la vue de leur porte. Ils payèrent aussi les frais et quelque amende pécuniaire, ils s’obligèrent aussi de les garantir. Ces croix existent encore et on y voit la date de leur plantation faite en 1713. Il est étonnant que les hérétiques qui se qualifient de fidèles serviteurs de Jésus Christ, veulent avoir part à son baptême et à ses grâces sans en respecter la croix que Jésus Christ dit qu’il faut porter pour être ses disciples et avoir part à sa gloire".
En 1766, les huguenots qui existent encore voulurent frapper un grand coup et ébranler les catholiques. Pour cela, ils firent venir un ministre protestant chez Salenabe d’Arros , qui est le doyen de la secte en ce dit lieu, pour prêcher dans la grange pendant la nuit. Le curé d’Arros , M. de Moncaubet, instruit de la chose, en informa les jurats et un nombre de catholiques qui allèrent les surprendre ; mais ils ne purent en arrêter aucun ; ils disparurent en un clin d’œil et le ministre chargea Hillanat de Saint Abit de leur administrer la parole de l’Evangile. Pendant un temps, il se rendit chez Salenave pour y chanter les psaumes de Marot en français et faire le cathéchismeà ces pauvres égarés ; et à la fin de ses exercices, il leur donnait un petit discours à sa façon. On le considérait comme un prophète. Dans la crainte de se faire quelque mauvaise affaire, il renonça, enfin à sa mission.